أخبار وطنية L’historien Béchir Yazidi raconte l’histoire de 4000 espagnols venus se réfugier en Tunisie en1939
Dans une rencontre organisée à la cité de la culture à l’occasion du 80ème anniversaire de la fin de la guerre civile espagnole, l’historien Béchir Yazidi a donné une conférence qui s’est intéressée à l’exil de 4000 espagnols républicains venus se réfugier en Tunisie en 1939 à la fin de la guerre civile en Espagne.
Avec ses qualités de conteur, le professeur Yazidi a tenu en haleine son auditoire en racontant ce qui suit :
« On a toujours voulu voir la guerre civile en Espagne comme une histoire hispano-espagnol, alors que c'est impossible. Vous savez pourquoi ? Parce que tout le monde était impliqué dans cette guerre et même la Tunisie était impliquée. Des nationalistes tunisiens dans les années 30, Bourguiba et ses compagnons, ont été aux côtés des républicains. Lors d'un meeting qui a eu lieu ici même, à l'avenue Mohammed V, qui à l'époque s'appelait l'esplanade, un certain Rachid Driss a prononcé un discours dans lequel il a dit d'une certaine manière que les nationalistes tunisiens étaient aux côtés des républicains dans ce conflit entre nationalistes et républicains.
La fuite de Carthagène
Maintenant, cette histoire partagée va être de nouveau sur scène avec la fin de la guerre civile espagnole en 1939. Pour la Tunisie, c'était en mars 1939 quand le dernier poumon de la République Espagnole, c'est-à-dire le port de la ville de Carthagène a connu des perturbations, une anarchie qu'on ne pouvait comprendre à l'époque. Et c'est à ce moment, que l'amiral de la flotte républicaine qui était en rade dans le port de Carthagène a pris la décision de quitter la ville pour s'enfuir avec la flotte composée de 12 navires et d’un sous-marin. Au début, il pensait rejoindre les côtes algériennes, plus exactement le port d'Oran comme tous les autres républicains qui commençaient justement à s'enfuir à partir d’Alicante, de Carthagène avant la chute de Madrid le 28 mars 1939.
Vers Bizerte
Beaucoup de républicains qui craignaient justement la répression ont voulu partir vers le sud de l'Espagne et quittèrent vers les côtes nord-africaines. Mais les autorités françaises étaient contre l'idée que la flotte républicaine rentre dans le port d'Oran et on lui a dit qu'il vaudrait mieux qu'elle se dirige vers le port de Bizerte. Alors pourquoi Bizerte ? Parce que selon les autorités françaises, c'était le seul port en Afrique du Nord qui avait les possibilités techniques pour accueillir une telle flotte.
Puis aussi parce que des relations diplomatiques ont commencé à se tisser entre l’Espagne et la France et cette dernière a pris la décision d'accueillir la flotte républicaine dans le port de Bizerte.
Le 7 mars 1939
La flotte est arrivée à l'aube du 7 mars 1939 et elle a commencé à se préparer pour répondre aux ordres de l'amirauté française. L’accueil se fait dans des conditions inimaginables pour des gens qui sont venus chercher refuge et qui se considéraient comme des réfugiés politiques. Ils croyaient avoir le droit d'asile et pensaient qu'ils allaient être bien accueillis mais c'est tout à fait le contraire qui s'est déroulé.
4200 espagnols
A l'époque, les autorités françaises avaient une certaine appréhension de l'arrivée de ces quatre mille marins avec quelques civiles qui étaient des hommes politiques, des syndicalistes (Alfonso Bruno par exp), des enfants, des femmes. En tout, j’ai dénombré dans les archives quelque chose comme 4150 - 4200 personnes qui croyaient donc venir se reposer en Tunisie après un revers militaire, une défaite. Il faut imaginer le chemin qu'ils avaient effectué de Carthagène vers Oran puis vers Bizerte. Imaginez dans quel état physique et moral, ils se trouvaient. Ils allaitent être accueillis comme des bandits, des gens dangereux desquels il faut se méfier.
Signer les conditions de l’acceuil
La première chose à faire était de les désarmer. La garde mobile française leur a strictement interdit de quitter le navire avant d'effectuer les recherches, s'il y avait des gens recherchés et de mettre les armes de côté. Et ils vont obliger l'amiral de la flotte qui était monsieur Bonita, personnage qui sera connu par la suite, de signer les conditions de leur accueil en Tunisie, c'est-à-dire qu'ils acceptent toutes les clauses d'un texte qui était déjà préparé, il a signé et accepté les conditions.
Vers Meknassi
La décision était déjà prise pour décider du sort de ces marins, c'est-à-dire de les acheminer vers une mine désaffectée qui se trouve à 9 km de la ville de Meknassi et qui s'appelle Mehri Jabès, le nom d’un site de Jibbs.
Cette mine désaffectée qui était une mine de phosphate, a été l'endroit adéquat pour héberger ces gens-là à 300 km de Bizerte. Pourquoi ? Pour les empêcher de se mêler à la population locale tunisienne. Nous sommes en 1939 et en avril 1938, il se passa en Tunisie des choses qui ont rendu la situation politique et sociale critique, c'était la journée du 9 avril 1938.
Donc la situation était envenimée et ces exilés, qu'on appelle « ces communistes », ces gens de gauche parce qu'il y avait parmi eux des syndicalistes, des anarchistes, faisaient peur aux autorités françaises.
Crainte, isolement et camp d’internement
N'oublions pas aussi, qu’il y avait en Tunisie une forte communauté italienne et rappelant que les italiens ont participé à la guerre civile aux côtés des franquistes. Là aussi, on craignait que les espagnols entrent en contact avec les italiens et qu'il y ait des règlements de comptes. Il fallait coûte que coûte les éloigner et les mettre dans un endroit isolé. On parle donc d’un camp d'internement, d'autres parlent d’un camp de concentration. Maintenant en Espagne, les chercheurs surtout dans les associations de la mémoire démocratique espagnole insistent pour qualifier les camps où étaient internés les républicains espagnols du nom qu'ils méritent, c'est-à-dire des camps de concentration surtout en Algérie et en Tunisie. Je ne peux me prononcer pour ce qualificatif que pour le camp de Gabès qui était un camp disciplinaire très difficile.
Donc on les a acheminés dans des trains dans des conditions atroces, ces trains étaient réservés pour le transport des chevaux. On a plombé une partie de ce train et on a laissé ouvert qu'une seule partie pour empêcher les fuites et les escapades.
Des conditions atroces
Ils arrivent à Meknassi et on les met dans ce camp d'internement qui était entouré de fil barbelé, mais ce n'était pas ça qui allait rendre la vie des exilés dure. En effet les conditions de rétention étaient atroces, ils dormaient sur la paille, la nourriture n’était pas suffisante, ils n'avaient pas d'eau, ils étaient gardés jour et nuit. L'internement était aussi moral. Imaginez les conditions psychologiques de l’exil, de l’attente, du délaissement surtout lorsqu’ils débarquent dans un endroit isolé aux portes du désert.
Une répression par procuration
J'ai intitulé cela dans un papier comme une forme de répression qui ne s’exerçait pas uniquement en Espagne par les franquistes contre les républicains mais elle était aussi exercée sur les espagnols qui ont fui l'Espagne mais par procuration, par l'intermédiaire des autorités françaises. Ils supportaient pratiquement les mêmes d'exactions que leurs familles et parents restés en Espagne.
Mais malgré ces conditions pénibles, il y a une forme de résistance, ils font tout pour ne pas succomber, pour ne pas perdre le moral, pour rester toujours prêt à rentrer en Espagne pour continuer à combattre et chasser Franco et les factions nationalistes.
Résistance et rapatriement
Je crois que leur résistance s’est faite par cette volonté de vouloir continuer à vivre normalement. Sachant que le régime franquiste a cherché à récupérer sa flotte, pour cela il a envoyé un amiral qui s'appelle Salvatore et Moreno qui est venu la chercher. En venant chercher la flotte républicaine, il a annoncé que Franco n'a rien contre ceux qui sont partis de Carthagène et qu'ils peuvent rentrer chez eux sans craindre ni représailles, ni emprisonnement. Certains ont cru et ont voulu rentrer avec Moreno. Ils étaient au nombre de 2000 et quelques. Ceux qui sont restés ont voulu continuer à vivre normalement en s'impliquant dans la vie quotidienne de la Tunisie même si cela était très difficile.
Les autorités françaises considéraient qu’il fallait mieux les rapatrier mais certains n'étaient pas prêts à quitter la Tunisie. Ils attendaient des conditions de vie meilleures, un contexte plus favorable pour entrer en Espagne et chasser Franco. C'est ce que j'ai trouvé dans les témoignages de ces marins.
Une loi pour exploiter les apatrides
Au début, ils étaient étroitement surveillés, jusqu'à l'éclatement de la deuxième guerre mondiale, et là une idée est venue aux autorités françaises à Paris, elles voulaient profiter de la présence de ces gens-là et une loi a été promulguée pour exploiter ces apatrides. Ces derniers étaient formés et pouvaient justement aider la France dans son effort pour se préparer à la guerre qui s'annonçait. La guerre a éclaté au mois de septembre 1939 et il y avait un manque de main d’œuvre en Tunisie. Ces espagnols savaient tout faire, c'étaient des médecins, des jardiniers, des maraîchers, des agriculteurs. Ils faisaient tout. Ils ont participé à la construction de la ligne du chemin de fer, et c’était le travail des espagnols indisciplinés qui étaient envoyés au camp de Gabès qu’on appelle l'enfer et qui était réservé aux plus indisciplinés qui cherchaient à s’enfuir du camp de Meknassi. Les conditions de travail étaient très dures.
A Kasserine..
L'autre exemple de l'insertion dans la vie de Tunis est celui de la ville de Kasserine. Kasserine pour moi, est une ville mémoire, et même les autochtones se rappellent toujours de la présence de ces espagnols. Le résident général Eirik Labonne a eu cette idée depuis 1938 de valoriser la région de Kasserine en utilisant la main d'œuvre locale tunisienne, italienne, française et espagnole. Il a sélectionné au début une cinquantaine d’espagnols puis le nombre s'est élevé. Ils ont été acheminés vers Kasserine dans des conditions déplorables. Ils n'avaient pas où se loger et les grottes pour ceux qui connaissent Kasserine, ont été leur demeure. Ils dormaient sur la paille et je ne vous raconte pas les témoignages et les descriptions de ces espagnols que j'ai récoltés et qui parlent de ces conditions de vie difficile. Il fallait tout faire à Kasserine. Sur le plan de l'infrastructure, un grand danger menaçait la ville, c'était le oued « Derb » dont les fortes crues faisaient des ravages. Ils y avaient des hydrauliciens espagnols qui ont su dompter ce cours d'eau et réussi à le rendre utile.
C'est à partir de ce moment que l'État colonial français a mis à la disposition de ces gens-là quelque chose comme 100 hectares du domaine de l'État pour les mettre en valeur. Et ainsi est née la ferme de Chambi, du nom du Jebel Chaambi, et qui est devenue une ferme pilote où on trouvait de tout et on avait les meilleures productions de légumes en Tunisie.
Entre désillusion et espoir
La morale de l'histoire, c'est que les espagnols commençaient à se sentir bien en Tunisie sans oublier bien-sûr le rêve du retour. Mais déjà, ils se sentaient chez eux et ça a été déclaré par quelques espagnols. Ils se sentaient dans une deuxième patrie. Ils ont même sollicité la résidence général et aussi le consulat espagnol pour avoir les permis nécessaires pour faire venir leur familles (femmes, parents). Ils pensaient désormais à autre chose que la vengeance ou chasser Franco de l'Espagne. Ils ont perdu l'espoir de regagner leur pays afin de participer à une libération, à une campagne militaire avec l'aide de ceux qui ont gagné la deuxième guerre mondiale pour libérer l'Espagne. Cette libération n'a pas eu lieu surtout avec le fameux plébiscite qui a eu lieu en Espagne et qui reconnaissait la monarchie à une condition, après la mort de Franco. Une autre déception. Certains sont partis en Algérie, au Mexique. Ceux qui sont restés ici attendaient des jours meilleurs.
De la nécessité du devoir de mémoire..
Entre-temps, il y a eu des morts qui ont été enterrés dans un petit cimetière à Kasserine, à Bizerte, à Bourgel à Tunis, à Ferry-ville (Menzel Bourguiba). Il y a un travail à faire pour la mémoire de ces gens-là, qui ont fait partie de notre tissu social et qui ont participé au développement de notre économie ».
Compte rendu de Chiraz Ben M'rad